Faraway countries of European Union…

par clergepondu

« For the champions of the Cold War, Eastern Europe, it seems, is a collection of faraway countries of whom we know nothing » (Edward Lucas, European Voice)

Il est inévitable en Europe de devoir « traiter » d’une manière ou d’une autre notre passé commun, pour ainsi tourner nos réflexions vers un dessein commun, « pour éclairer les conditions de construction de l’Europe commune » (LE GOFF, 2003) et plus précisément pour activer le lien des citoyens à la « communauté imaginée » européenne.

Mais comment affilier à la Nation européenne les pays de l’Europe de l’Est alors qu’ils sont constamment pointés du doigt pour leur ancienne vulnérabilité face à la tentation totalitaire ?

Les historiens expliquent les velléités d’indépendance en Pologne, en Hongrie ou en Tchécoslovaquie face au joug soviétique par leur tradition sociopolitique et économique plus proche de l’Europe occidentale que de l’Europe orientale.

La résistance « suprême » de ces trois pays – par rapport aux autres pays du bloc de l’Est – s’expliquerait donc par leurs affinités plus profondes avec la culture occidentale. S’impose alors une première interrogation : « en quoi l’esprit  « révolutionnaire » serait-il l’apanage de l’Europe dite occidentale ? ».

La Révolution française de 1789 a certes profondément marqué l’histoire des révolutions, car pour la première fois étaient réunies les dimensions culturelles de l’essence de la révolution, au sens moderne du terme, c’est-à-dire que « la croyance dans la destruction du passé et la création d’un nouvel âge de vertu apparaissent complètement sécularisés et transformés en une croyance dans les pouvoirs de l’homme pour fabriquer de ses propres mains un monde supérieur » (GOLDSTONE, 1989). Et effectivement, les pays de l’Europe de l’Est ont échoué à abattre l’ancien régime.

Mais n’y a-t-il pas, d’une part, quelque chose d’une « infiltration sournoise du nationalisme dans le néo-européisme français »(MORIN, 1990) dans cette façon de considérer la Révolution française non plus comme un événement de l’histoire des Français mais comme une révolution européenne ?

Et d’autre part, les explications « culturalistes » pour justifier le fossé socio-économique entre les deux Europe sont une manière de renier les trésors d’expériences, de sagesses et de subtilités qu’offrent ces cultures slaves.

Cela donne la désagréable impression que l’on impute à l’essence d’un peuple son « auto-persécution » soviétique, alors que – faut-il vraiment le rappeler ? – « si les pays d’Europe dominés par l’URSS n’étaient pas démocratiques, ils souhaitaient cette démocratie » (MORIN, 1990). 

De plus, l’Europe européenne a été davantage marquée par les absolutismes, despotismes, bonapartismes, fascismes, et des dictatures ont continué à s’imposer en Europe (Portugal, Espagne, Grèce) jusque dans les années septante.

En quoi le « malheur russe » serait-il plus blâmable ?

Le constat, plus de deux cents ans après, que les promesses contenues dans le mythe de la Révolution française ont été si peu souvent concrétisées et que la mémoire collective européenne est elle-même polluée de « tabous » historiques (« syndrome de Vichy », etc.), le critère d’un passé totalitaire ne devrait pas être un critère de démarcation entre les véritables héritiers de la  « chère vieille Europe » et les prétendants à l’être.

Pour paraphraser Edgar Morin, si la Révolution française fut démolition et reconstruction de la pensée, pourquoi ne pas envisager un recommencement corollaire de la pensée dans ces pays postcommunistes ? A-t-on besoin, selon un mécanisme connu en psycho-sociologie, de peindre une image négative des États de l’Est, afin de contribuer à différencier l’ »endogroupe » et à faire acquérir aux « vieux » citoyens européens une identité collective positive ?

« L’Europe à élire est l’Europe qui a été capable d’élaborer des points de vue méta-européens. C’est celle-là qui serait capable d’intégrer, dans sa dialogique, les points de vue extra-européens » (MORIN, 1990) Car, il ne faut pas oublier que si pour les nations de la périphérie de l’Empire, l’effondrement du communisme a été perçu comme une libération, pour les Russes, il est aussi vécu comme une humiliation. Par là, « l’idéalisation euphorique » et la « vaniteuse auto-complaisance » européenne empêcheront sans doute encore longtemps un dialogue d’égalité entre l’Union européenne et la Russie.

A l’heure où l’on essaie de cristalliser une conscience de l’identité européenne au sein des Vingt-sept (bientôt Vingt-huit), il n’est pas très judicieux de juger si sévèrement l’ampleur des dégâts de la période communiste dans les pays de la « périphérie ». « Le sociologue hongrois Elemer Hankiss parle de « névrose de l’arriération » qui renvoie à un certain complexe d’infériorité, à l’embarras des intellectuels devant l’histoire de leurs nations. » (RUPNIK, 1992).

Effectivement, dans ces pays, la sortie du communisme s’est faite sous le mot d’ordre du « retour en Europe ». Dès lors, ce renvoi systématique à un déficit de légitimité à prétendre à l’Europe judéo-christiano-gréco-romaine, berceau de la démocratie, démesure le vieux dilemme de l’Autre Europe « écartelée de nouveau entre son identification historique à la culture européenne (médiévale, baroque, celle des Lumières) et aux modèles politiques occidentaux et les réalités de son « arriération » économique ou sociale » (RUPNIK, 1992).

On a pu observer la véhémence de cet écartèlement au sein du monde politique ukrainien lors des confrontations presque sanglantes entre les mouvements « pro-occidentaux » et « pro-russes » au sein même du Parlement lorsque le nouveau président ukrainien Viktor Ianoukovitch a signé avec Dmitri Medvedev un accord sur la prolongation de 25 ans du bail de la base de la flotte russe de la mer Noire en Crimée, qui expirait en 2017.

Il est notable en effet de constater à quel point les pays de l’Europe centrale et de l’Est s’acharnent à vouloir faire disparaître les symboles de l’ancien régime afin de rétablir une continuité rompue avec l’Europe.

Mais « les Nations, comme les individus, ont besoin de pouvoir se regarder dans la glace à l’aube d’une ère nouvelle. Les historiens sont ce miroir. Ils sont les psychanalystes de leurs nations dont l’histoire est le subconscient » (RUPNIK, 1992).

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